Auteur : Madeleine Devès Senghor
La littérature de cordel, c’est la littérature populaire du nord-est du Brésil.
Elle se présente sous forme de feuillets écrits en vers la plupart du temps, qui étaient autrefois vendus sur les places publiques, suspendus à des cordelettes.
Cette « littérature » a ses partisans et ses détracteurs.
Curieusement, il y a quelques décennies de cela, le cordel n’était pas reconnu au Brésil comme ayant quelque valeur littéraire. Elle était ignorée de l’élite intellectuelle.
Qui produit ces feuillets ? Ce sont les « trovador » ou troubadour qui improvisent ces vers en s’accompagnant d’un violon aux sonorités éclatantes. Le cordel est d’abord une expression orale qui n’est pas sans me rappeler étrangement les « griots » du Sénégal, eux aussi troubadours inséparables de leur « cora », violon africain formé d’une calebasse recouverte de peau de mouton sur laquelle sont tendues, faites en intestins de mouton, vingt et une cordes. Le « trovador », ou le « repentiste » est sans aucun doute, le frère jumeau du griot africain.
Quand produit-on ces feuillets ? Tout événement socio-économico-politique est sujet à expression. Nous verrons plus loin que d’autres considérations sont entrées en jeu lors de l’apparition et de la découverte du cordel.
Comment produit-on ces feuillets ? C’est généralement lors de fêtes ou événements du sertao [1] que s’expriment ces troubadours. Les divers« cycles » du cordel disent bien les thèmes évoqués.
« LE CORDEL »
Le mouvement moderniste, nous devrions dire la « révolution » moderniste qu’a constitué la Semaine d’Art Moderne de Sao Paulo de 1922 avec Mario de Andrade a sûrement contribué à la revalorisation du cordel, bien que le « manifeste » de cette semaine ne fasse aucune allusion au cordel.
Il est dommage de ne pas connaître le point de vue de Mario de Andradte ou de Osvaldo de Andrade sur la valeur littéraire du cordel.
Quoi qu’il en soit, de nos jours, le cordel a de farouches partisans, au point de tenter de lui trouver une classification [2]. Le professeur Cantel de la Sorbonne, distingué chercheur de ce genre littéraire, classifie par exemple le cordel en cinq cycles [3].
- le cycle héroïque, qu’il qualifie du plus important en qualité et en quantité,
- le cycle comique ou satirique,- le cycle des histoires d’amour,- le cycle religieux,- le cycle d’information.Le professeur Manuel Diegues Junior signale une classification plus récente encore, celle de la casa Rui Barbosa, faite par un groupe sous la direction de Cavalcanti Proença, et une dernière qui serait celle de Ariano Suassuna qui serait même plus synthétique et qui chercherait à situer la systématisation du cordel entre des limites plus définies à partir de deux grands groupes, celui des thèmes traditionnels, et celui des thèmes événementiels, en somme poésie improvisée et poésie de composition.
On a même procédé à une « analyse structurelle de l’idéologie cordel » [4], savante analyse dont nous avons surtout retenu la partie relative au message idéologique. Le cordel exprimerait selon Heloisa dos Santos Costa, l’opposition existante entre la ville et la campagne qui n’est pas seulement géographique, mais surtout une opposition socio-économique, vaincue en définitive par la prédominance des valeurs de la ville. La ville concentre l’administration, la politique, le capital, tandis que la campagne se caractérise par la dispersion et l’isolement. Aussi, le paysan, dans sa relation avec le citadin, ressent-il la peur, l’insécurité et l’infériorité. Ce serait pour lutter contre ces divers sentiments que le cordeliste chanterait et s’exprimerait. Bref, ce serait l’apologiste de la « communication sociale » pour reprendre une expression très à l’ordre du jour.
C’est ici que l’on peut sentir la différence fondamentale qui oppose le cordeliste au griot sénégalais. Aucun des sentiments qui animeraient le cordeliste ne se retrouve chez le griot, qui, au contraire, se trouvant dans la totale dépendance du glorifié, n’affronte aucune angoisse existentielle. C’est pourquoi le chant et le vers du griot est toujours gai. C’est la mémoire historique de l’Afrique. Comme l’a dit le grand sage africain Hamadou Hampaté BA, « un griot qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ».
Voyons rapidement les différents cycles du cordel.
- Le cycle héroïque, qui est le plus ancien (1880 environ) se réfère selon le professeur Cantel à l’époque de la littérature française de colportage qui passa par le Portugal pour arriver au Brésil. Charlemagne, Rolland de Roncevaux, Jeanne d’Arc, furent des personnages qui frappèrent l’imagination des cordelistes de l’époque, comme aime à le souligner le Professeur Cantel. De plus, l’histoire de Charlemagne « offre une typologie du bandit du nordeste ». Luis da Câmara Cascudo, romancier qui est un des plus grands maîtres du cordel a écrit, entre autres, « Donzela Teodora » et « Roberto do Diabo », les « cangaçeiros » qui furent, avec à leur tête « Lampiâo », les héros privilégiés du cycle héroïque du cordel.
- Cycle comico-satirique : les animaux parlent, donnent des conseils. C’est un peu La Fontaine. Ce cycle dura malheureusement peu.
- Cycle des histoires d’amour dans lequel ce sentiment est source d’héroïsme, ou bien met en scène un amour impossible, ou déjà voué à l’échec tel que « O Namoro do Matuto com a professora » [5].
- Cycle religieux qui est considéré comme le meilleur, le plus drôle, le plus créatif dirions-nous. Les Saints, la Vierge, l’Enfant-Jésus, Dieu le Père, sont en conflit avec Satan pour le triomphe du Bien sur la terre. « Les punitions du ciel s’analysent toujours en métamorphoses » dit le Professeur Cantel. C’est par exemple le cas du jeune Homme qui donne un coup de pied à sa mère et qui voit son pied devenir rond [6], qui est, à notre avis, une véritable pièce tragico-comique et que nous avons particulièrement appréciée. Nous la croyons digne d’être enseignée et commentée dans les écoles tant pour sa valeur moralisante, que pour la logique de la construction et du déroulement de l’histoire.
Une thèse a même été publiée sur le « cordel et l’idéologie de la punition [7]. Cette idéologie se réfère à une sorte d’exclusion ou de marginalisation du paysan du nordeste, tel que le « boiadeiro » ou le « vaqueiro » qui assumeraient des fonctions subalternes. Telle serait en fait la punition du ciel qui leur serait infligée. En fait tout finit bien, car après que le « vaqueiro » se soit opposé au propriétaire du moulin de canne à sucre, homme pervers et criminel, appelé « coronel » [8] advient le mariage de la fille du « coronel » avec le personnage subalterne.
Dans le même ordre d’idées, le troubadour José Vicente da Paraiba a écrit une « Paixào de Cristo na nova Jérusalem » [9] suivi d’une « Via Sacra » qui brosse une véritable fresque des origines de l’humanité jusqu’à la crucifixion et la mort du Christ, présentées comme antidote du péché originel. Ce gigantesque travail en vers de 10 strophes chacune que nous avons particulièrement admiré comprend 160 strophes, soit un total de 1.600 vers ! Chacune des strophes a une saveur particulière, variant d’ailleurs de la naïveté la plus ingénue au surréalisme.
- Cycle du modernisme du cordel avec une vocation didactique certaine. Dans ce cycle se rencontrent diverses tendances qu’il est encore trop tôt peut être de classifier. Nous pouvons citer à titre d’exemple :
- de Rodolfo Coelho Cavalcante : « A vida do Poeta Castro Alves » mars 1976 qui propose en vers une magnifique description de la vie et de l’œuvre (anti-esclavagiste) de ce très grand poète engagé.
- de Erotildes Miranda dos Santos « O ABC do amor », qui est un beau roman d’amour moderne, dont le but est ainsi dépeint par l’auteur :
« J’ai déjà décrit les détails
« de mon amour
« S’il y a quelques erreur
« Que le lecteur me pardonne
« Parce que je ne suis pas
[Formé pour cela
« Je suis un apprenti
« Troubadour ».
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